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Note de lectura: Nicolas Trifon. Karpathia de Mathias Menegoz
Scris la Saturday, January 03 @ 13:40:34 CET de catre asymetria |
Intrigué par le titre, un mot nouveau qui sonne assez étrange en français, un peu désuet, puisqu’il renvoie à l’ancienne orthographe des Carpates, Carpathes ou encore Karpathes, mais qui passe bien en fin de compte, j’ai plongé dans la lecture de Karpathia de Mathias Menegoz sans trop savoir au départ si j’irai bien loin. 696 pages c’est beaucoup pour quelqu’un qui ne lit plus que très rarement des romans et qui était engagé sur plusieurs fronts en matière de lecture et écriture en ce moment. A ma grande surprise, je l’ai lu d’un bout à l’autre avec un plaisir tout particulier parce que du même ordre que celui que je devais éprouver vers l’âge de 12-13 ans en lisant Walter Scott ou encore Alexandre Dumas. En effet, Karpathiac’est du Dumas, mais écrit en ce début du XXIe siècle, sur un ton très XXIe siècle soucieux d’éviter toute remarque ou dérive frôlant ce qui peut faire figure de politiquement incorrect à l’égard des femmes, des pauvres, des minorités, etc., ce qui ne manque d’accentuer le décalage avec le contexte très XIXe siècle dans lequel se déroule le périple du personnage central du roman, un jeune noble hongrois, ancien officier de l’empereur, le comte Korvanyi. Héritier d’un vaste domaine, ce dernier quitte Vienne pour se rendre sur ses terres, à la périphérie d’un Empire en pleine mutation, quelque part en Transylvanie. Une fresque historique, un roman d’aventures, paru dans une maison d’édition réputée surtout pour ses performances en matière d’autofiction et qui compte parmi ses auteurs Emmanuel Carrère et Marie Darrieussecq ou, pour ce qui est des Roumains cette année, Dumitru Tsepeneag et Mircea Cãrtãrescu.(lire la suite)
Les
Valaques, Hongrois, Saxons, Sicules et Tziganes Dans
le roman Karpathia de Mathias Menegoz Intrigué
par le titre, un mot nouveau qui sonne assez étrange en français,
un peu désuet, puisqu’il renvoie à l’ancienne orthographe des
Carpates, Carpathes ou encore Karpathes, mais qui passe bien en fin
de compte, j’ai plongé dans la lecture de Karpathia de
Mathias Menegoz sans trop savoir au départ si j’irai bien loin.
696 pages c’est beaucoup pour quelqu’un qui ne lit plus que très
rarement des romans et qui était engagé sur plusieurs fronts en
matière de lecture et écriture en ce moment. A ma grande surprise,
je l’ai lu d’un bout à l’autre avec un plaisir tout
particulier parce que du même ordre que celui que je devais éprouver
vers l’âge de 12-13 ans en lisant Walter Scott ou encore Alexandre
Dumas. En effet, Karpathia c’est du Dumas, mais écrit en ce
début du XXIe siècle, sur un ton très XXIe siècle soucieux
d’éviter toute remarque ou dérive frôlant ce qui peut faire
figure de politiquement incorrect à l’égard des femmes, des
pauvres, des minorités, etc., ce qui ne manque d’accentuer le
décalage avec le contexte très XIXe siècle dans lequel se déroule
le périple du personnage central du roman, un jeune noble hongrois,
ancien officier de l’empereur, le comte Korvanyi. Héritier d’un
vaste domaine, ce dernier quitte Vienne pour se rendre sur ses
terres, à la périphérie d’un Empire en pleine mutation, quelque
part en Transylvanie. Une fresque historique, un roman d’aventures,
paru dans une maison d’édition réputée surtout pour ses
performances en matière d’autofiction et qui compte parmi ses
auteurs Emmanuel Carrère et Marie Darrieussecq ou, pour ce qui est
des Roumains cette année, Dumitru Tsepeneag et Mircea Cãrtãrescu.
Donc un roman historique, d’aventures, mais aussi autre chose. Quoi
au juste je ne saurais dire. Après l’avoir lu, je me suis mis à
la recherche d’informations sur la question et c’est la
déclaration du directeur de P.O.L., Paul Otchakovsky-Laurens, qui
m’a semblé fournir l’explication la plus plausible bien que pas
entièrement satisfaisante : « Je n'ai aucune attirance
pour le roman historique, qui me paraît relever de la littérature
de jeunesse. J'ai donc ouvert le manuscrit avec beaucoup de
réticences. Puis, je l'ai lu d'une traite. Etonné, je l'ai soumis à
mon entourage, qui a porté le même jugement. En fait, je ne
comprends toujours pas vraiment ce qui me plaît tant. » (cité
par Eric Aeschimann, Le Nouvel Observateur, 11 septembre
2014). En cherchant sur le Web, je suis
tombé sur une brève allocution filmée de l’auteur qui raconte
comment, en visite en Hongrie chez des membres de sa famille, il a
voulu pousser plus loin et s’est rendu en Transylvanie où il est
tombé sous le charme d’une région montagneuse remplie de
mystères. Enfin, dans un entretien, il évoquait ses ascendants
souabes (colons de langue allemande installés par l’Autriche au
XVIIIe siècle sur ses terres reprises aux Ottomans et dont des
descendants vivent de nos jours en Hongrie et dans le Banat serbe et
roumain). Cela peut expliquer, jusqu’à un certain point, pourquoi
l’auteur réussit un véritable tour de force en se refusant de
trancher à propos du contentieux opposant les Valaques aux Hongrois.
A mon goût, la mise en scène de ces communautés qui se côtoient
sans jamais se mélanger est l’aspect le plus passionnant du livre
loin devant le destin héroïque/tragique du personnage central
auquel elle sert de toile de fond. Difficile de dire dans quelle
mesure les serfs, les serviteurs, les petits nobles, les paysans et
les forains, les fonctionnaires civils et militaires de l’empereur,
les Hongrois et les Tsiganes, les Sicules, les Saxons ou les Valaques
évoqués reflètent les réalités historiques. L’auteur s’est
beaucoup documenté, c’est certain, mais au fur et à mesure que
l’on se déplace de Vienne vers l’est les choses deviennent de
plus en plus embrouillées. Cela est surtout vrai pour les Valaques,
les plus nombreux sur les terres de notre comte, comme dans
l’ensemble de la Transylvanie, ces serfs pour la plupart, mais
aussi contrebandiers, bandits, moines et autres popes qui devront
attendre presque un siècle pour échapper au statut subalterne et
prendre leur revanche.
Une chose est certaine, la
reconstitution de l’atmosphère et des tensions qui prévalaient en
ces temps agités est émouvante et invite le lecteur à se replonger
dans un passé révolu mais qui a laissé des traces perceptibles
encore de nos jours. Passionné par le détail, l’auteur évite
tout jugement de valeur, tout propos malveillant au sujet des mille
personnages qu’il met en scène, ce qui constitue un vrai exploit à
propos de cette région dans laquelle les stéréotypes dépréciatifs
comme valorisants ont la vie dure. Cela étant dit, la reconstitution
à laquelle procède l’auteur exige parfois une bonne dose
d’imagination, à propos par exemple des Valaques de l’époque
sur lesquels on sait pas grand-chose en fin de comptes, sinon qu’ils
n’avaient pas droit au titre de nation à l’instar des Sicules,
des Hongrois et des Saxons. « Ils étaient non seulement serfs
mais aussi membres d’une communauté méprisée à laquelle on ne
donnait pas le nom de nation et qui n’avait aucun droit politique
en Transylvanie », écrit l’auteur à la page 180.
Si la sympathie de l’auteur va
vers l’ancien officier de l’empereur, aristocrate au-dessus de la
mêlée, qui vit et agit dans le culte de l’honneur, les faits et
gestes des membres des communautés qui se trouvent sur ses terres et
les alentours sont scrutés avec la minutie d’un entomologiste et
la froideur d’un fonctionnaire autrichien. On le voit surtout dans
l’évocation du monde obscur des mystérieux forestiers valaques,
de leur organisation interne, des complots qu’ils ourdissent, de
leurs actions vis-à-vis des serfs qu’ils tiennent sous leur coupe
tout en les protégeant et en les vengeant contre les nantis. La
description réaliste, sans concessions, de ces « forestiers »,
plus connus dans la région sous le nom de haïdoucs, est bien venue
si l’on pense à l’instrumentalisation, à des fins nationalistes
surtout, dont ils ont fait l’objet.
Pour une approche plus empathique du
monde des haïdoucs, de ceux qui se trouvaient de l’autre côté
des Carpates cette fois-ci, le lecteur pourra cependant se reporter
au bel ouvrage de Panaït Istrati intitulé Présentation des
haïdoucs, réédité par la maison L’échappée, quelques mois
après la parution de Karpathia. Dans sa postface, Carmen Oszi
cite une confession de l’écrivain d’origine roumaine qui donne
le ton de ce livre paru pour la première fois en 1925 :
« Dans la fourmilière
humaine, il y a des hommes qui n’ont pas assez de leur propre vie,
de leur souffrance, de leur bonheur et qui se sentent vivre toutes
les vies de la terre. Mille béatitudes ne les empêchent pas
d’entendre un gémissement ; mille douleurs ne peuvent les
priver d’une seule joie. Ce sont les hommes-échos : tout
résonne en eux (…) Je suis un de ces hommes-là : je suis un
haïdouc. » (p. 145).
Décidément, avec Panaït Istrati,
les haïdoucs intègrent de plain-pied la galerie des révoltés
contre toutes les injustices.
PS Les éditions L’échappée ont
également réédité cette année la biographie signée par Monique
Jutrin, Panaït Istrati, un chardon déraciné, tandis que les
éditions Peter Lang publient Panaït Istrati de A à Z de
Dolores Toma. Mathias Menegoz a reçu le prix Interallié 2014 pour
Karpathia.
Nicolas Trifon
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