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    Geopolitica: Nicolas TRIFON. Les Aroumains en Roumanie depuis 1990 (II)
    Scris la Wednesday, November 24 @ 14:11:14 CET de catre asymetria
    Memoria Les Aroumains en Roumanie depuis 1990 (II)

    Comment se passer d'une (belle-) mère patrie devenue encombrante

    Nicolas TRIFON (nicolas.trifon@gmail.com)

    Etude parue dans la Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2007, vol. 38, n° 4, pp. 173-199.

    Résumé : L'auto-identification d'une partie significative des Aroumains comme groupe distinct de la nation roumaine a surpris. En effet, leur langue, issue du latin, est a priori proche du roumain et, pendant les dernières décennies de l'existence de l'Empire ottoman, les écoles destinées aux Aroumains vivant dans la région située au carrefour de la Grèce, de l'Albanie, de la République de Macédoine et de la Bulgarie actuelles étaient financées par l'état roumain. Or c'est de cette région que proviennent les Aroumains de Roumanie, installés pour la plupart comme colons dans la Dobroudja du Sud pendant la période 1925-1932. L'auteur se propose de reconstituer le débat ayant opposé partisans et adversaires du statut de minorité nationale pour les Aroumains tout au long de l'année 2005 et d'analyser ses enjeux, tant en Roumanie qu'à l'échelle des Balkans. Il interroge ce faisant les modes de construction des identités au sein des communautés aroumaines, ainsi que les formes de mobilisation auxquelles elles donnent lieu.




    Suite
    «TOUS LES VRAIS SAVANTS AROUMAINS... »

    Si elle a mis longtemps à mûrir, l'aspiration à s'affirmer au grand jour et à se faire accepter comme « autre chose » a été énoncée dans des termes très clairs en 2005 malgré - et le plus souvent contre - les intellectuels d'origine aroumaine qui se sont exprimés publiquement à ce sujet (10). Sur ce point, la situation des Aroumains en Roumanie infirme quelque peu le rôle déterminant que l'on attribue d'ordinaire aux intellectuels dans l'essor des mouvements et des revendications d'ordre national.

    « Tous les vrais savants [érudits, lettrés] aroumains sont d'accord avec moi sur le fait que nous sommes roumains et que nous ne devons en aucun cas accepter d'être considérés comme une minorité », affirmait en guise de conclusion H. Cândroveanu dans l'entretien cité plus haut. Il n'était pas très loin de la vérité à en juger par les positions adoptées par la plupart des Aroumains qui se sont fait en Roumanie, par le passé comme de nos jours, un nom à travers leurs contributions sur la langue, l'histoire, la littérature, les mœurs ou le folklore aroumains (11). La situation de ceux qui appartenaient aux anciennes générations, nés sur les t1erritoires ottomans qui allaient devenir grecs, bulgares, albanais ou serbes, formés aux écoles roumaines sur place puis en Roumanie, impliqués pour la plupart dans les initiatives culturelles et scolaires soutenues par la Roumanie, était forcément contradictoire (12). On ne saurait leur attribuer la paternité de la légende nationale roumaine à propos des Aroumains qui résultait d'une sorte de consensus entre l'intelligentsia et la classe politique roumaine dans le contexte de l'époque. En revanche, ils ont participé à sa légitimation dans la mesure où ils se sont toujours abstenus d'en débattre dans une perspective critique. Déjà peu confiants dans les chances de réussite de l'entreprise roumaine dans les Balkans avant 1913, ils ne pouvaient que prendre acte de son échec et c'est sans grandes illusions, mais avec beaucoup de persévérance, qu'ils ont mené leurs travaux, souvent remarquables, par la suite.
    La position des intellectuels roumains d'origine aroumaine travaillant sur les Aroumains après la Seconde Guerre mondiale n'était pas plus confortable. En termes politiques, la question était taboue au nom de la non-ingérence dans les affaires des autres pays. Pourtant, les études aroumaines ont été poursuivies, avec des résultats également remarquables si l'on pense, par exemple, au monumental dictionnaire de Tache Papahagi paru en 1963. L'implosion du régime communiste inaugure une période nouvelle, marquée par une fâcheuse tendance à reprendre les processus au point où ils en étaient à la veille de la prise du pouvoir par les communistes, comme si rien ne s'était passé entre-temps. Il en va ainsi tant de la politique du gouvernement postcommuniste que du discours des médias qui tendent à présenter les Aroumains comme des victimes à la fois du caprice de l'histoire (1913) et du régime communiste (qui a imposé le silence sur leur sort dans les Balkans) (13). Certains intellectuels d'origine aroumaine n'ont pas hésité à s'engouffrer dans cette brèche alors qu'au sein de la communauté dont ils sont issus, à laquelle ils continuent souvent d'appartenir et dont ils s'estiment les porte-parole de droit, des changements considérables étaient intervenus.

    Comme nous l'avons exposé plus haut, de nombreux facteurs ont joué dans la détermination de la communauté à cultiver ses traits distinctifs. Les recueils de contes et de poésies, les enregistrements musicaux, les études historiques, etc., parus avant et après la chute du régime, y ont également contribué et les membres les plus actifs des nouvelles associations se réclament naturellement des linguistes, historiens, écrivains qui ont parlé et fait parler des Aroumains. En revanche, ils ne sont guère disposés à suivre leurs consignes. Le malentendu était inévitable. Les uns et les autres ont dû se résigner à une évidence quelque peu contrariante : cela n'a pas beaucoup de sens de parler d'intellectuel aroumain ou d'élite aroumaine. Il s'agit tout simplement d'Aroumain(e) s qui ont acquis du prestige sur le plan national en raison de leurs travaux consacrés aux Aroumains. Bien entendu, ils ne sont ni plus ni moins aroumains que les autres mais, en un sens, leur situation est autrement inconfortable. Sans aller jusqu'à se faire les vecteurs des aspirations d'une partie de leur communauté, en supposant qu'ils les partagent, le simple fait d'émettre des réserves sur les modes de présentation des Aroumains en Roumanie signifierait s'exposer à une objection de taille, liée à leur origine aroumaine, et courir éventuellement le risque de voir leur statut décliner et même de perdre leurs sources de revenu sans obtenir grand-chose en retour (14). Une solution ne pourrait venir que de l'extérieur. Or aucun intellectuel de renom en Roumanie ne s'est manifesté à ce sujet. Les raisons sont diverses mais le verrouillage du terrain par des intellectuels d'origine aroumaine et les dissensions qui caractérisent le monde aroumain n'y sont pas pour rien.

    La situation est d'autant plus désespérante que les conceptions scientistes léguées par le XIXe siècle en matière de détermination de la « nation » des uns et des autres, parfois reprises et systématisées sous le régime communiste, ne laissent guère de place aux nuances. Prompts à se mettre au diapason de leurs collègues occidentaux dans bien des domaines, les intellectuels est-européens et surtout balkaniques se montrent peu enclins à les suivre lorsqu'il s'agit des questions nationales. Certains préfèrent ne pas prendre position pour éviter les complications, d'autres continuent à se poser en garants et gardiens de la vérité nationale, vérité qui ne saurait être établie que scientifiquement. Le fait que les vérités scientifiques nationales d'une nation infirment celles non moins scientifiques d'une autre nation, limitrophe, ne semble pas perturber outre mesure les intellectuels balkaniques. La différence aroumaine ne saurait avoir droit de cité en Roumanie, comme ailleurs, sans que l'on démontre au préalable que l'aroumain est une langue, que les Aroumains constituent un peuple à part. Et, quand bien même y arriverait-on, cela signifierait-il qu'ils devraient avoir un état, se constituer en nation, se séparer de celles parmi lesquelles ils vivent ?

    La séance consacrée par l'Académie roumaine à « L'aroumain et les Aroumains aujourd'hui » le 28 janvier 2005 n'est pas allée jusque-là, loin s'en faut : elle a surtout signifié la difficulté, sinon l'impossibilité, d'un débat serein sur ce sujet.

    « Mieux vaut donc ne pas le contrarier... »

    Le discours d'ouverture, prononcé sur un ton décontracté par le président de l'Académie, le critique et historien de la littérature Eugen Simion, reflétait bien la perception courante des « Macédoniens » dans le pays. Il rapporte notamment sa surprise en entendant les quelque 400 à 500 participants à un mariage aroumain à Paris au début des années 1970 s'entretenir entre eux dans une langue dont il ne comprenait qu'un mot par-ci, par-là. Cependant, en rendant hommage à « cette puissante famille de la romanite et de la roumanité », il parla de « dialecte » avant de dresser un portrait d'ensemble plus contrasté. Pour « l'imaginaire collectif [roumain], l'Aroumain, ce frère méridional, est rentré chez lui tel le fils prodigue, un retour plutôt contraint entre nous soit dit. Il déblatère contre tous ou, comment le dire, il a une langue de vipère. Mieux vaut donc ne pas le contrarier et, si on le fait, il faut s'attendre à une brouille pour la vie ».

    La linguiste de renommée internationale Matilda Caragiu Marioteanu était l'invitée de marque de la séance. Polémique à souhait, loin de la rigueur et de la précision dont elle témoigne dans ses écrits, elle illustra jusqu'à la caricature le stéréotype avancé par le président de l'institution dont elle venait d'être nommée membre à part entière. Elle mit au cœur de son intervention la défense et illustration de ce qu'elle présente comme son credo scientifique, un texte paru pour la première fois en 1993 sous le titre Un dodécalogue des Aroumains : 12 vérités incontestables, historiques et actuelles sur les Aroumains et leur langue (15). Elle s'insurge notamment contre l'interprétation erronée de la première vérité dont l'intitulé est le suivant : « Les Aroumains (Macédo-Valaques) et leur langue maternelle existent aujourd'hui et depuis deux mille ans ». Cette formule lui a valu dans la presse l'accusation de « par tager des opinions anti-roumaines » et de « soutenir que les Aroumains sont un autre peuple néo-latin, qui parle une autre langue que le roumain ». Ces accusations, qui émanaient d'auteurs aroumains, étaient faciles à réfuter. Elles ont été partiellement reprises, dans des termes plus pondérés, par un auteur, non aroumain cette fois, éditorialiste à l'hebdomadaire qui avait publié le Dodécalogue ; son article, intitulé « Le contentieux des Aroumains », se faisait l'écho de leurs dissensions (Ornea, 1995). C'est à cet auteur en particulier que
M. Caragiu Marioteanu répondait en rappelant sa position que l'on peut résumer comme suit : oui, l'aroumain est la langue maternelle des Aroumains, mais cela ne veut pas dire que l'aroumain est une langue différente du roumain par
ce que le roumain est la langue littéraire des Aroumains. L'aroumain comme le daco-roumain sont deux « hypostases » (variantes) d'une même langue, le proto-roumain ou le roumain commun, ou ancien, issu du latin populaire, qui a connu une scission lors de l'arrivée massive des Slaves dans le Sud-Est européen. Cette théorie, qui fait le consensus parmi les linguistes roumains, est fondée sur une hypothèse cohérente mais qui ne change rien au fait que les deux variantes ont évolué séparément pendant le dernier millénaire. Qu'il n'y ait pas une langue littéraire, standard, aroumaine, comme il y en a une pour le roumain est facile à expliquer d'ailleurs ; considérer que le roumain est la langue littéraire des Aroumains en est une autre. Elle l'est nécessairement en Roumanie mais pas dans les autres pays où vivent les Aroumains. à force d'éviter cette problématique, la position de Matilda Caragiu Marioteanu est peu convaincante et se prête inévitablement au malentendu. Sa tentative pour le dissiper fut encore moins convaincante lors de cette session. Elle retourna, avec une extrême violence contre les membres de la communauté favorables d'une manière ou d'une autre à une affirmation autonome des Aroumains, les accusations que l'on avait proférées à son encontre et qu'elle venait d'évoquer. « Une véritable hystérie s'est emparée du monde aroumain. On dirait que les esprits ont été intoxiqués... », affirma-t-elle en désignant nommément comme responsables les acteurs, toutes tendances confondues, du renouveau aroumain de ces dernières décennies et en précisant : « mais moi, je suis une scientifique, je sers la vérité, je ne fais que décrire et je n'impose rien à personne ». (16) L'argument d'autorité, cependant, ne pouvait pas convaincre l'auditoire, composé en majorité d'Aroumains, peu habitués pour la plupart aux sessions académiques mais bien décidés à se faire entendre. En aroumain. La rupture était consommée (17).

    Epilogue : les chiens aboient, la caravane passe

    L'intervention de Matilda Caragiu Marioteanu s'intitulait « Une crise identitaire aroumaine ». Quelques jours plus tard, Mariana Bara, également linguiste, faisait circuler sur le Forum Armanamea un texte ayant pour titre « Une crise de l'identité ou de la description des Aroumains ? » La réponse à la question ainsi formulée est sans équivoque : la crise d'identité des Aroumains est due à l'inadéquation entre le discours officiel et les réalités aroumaines telles qu'on peut les observer de nos jours en Roumanie et dans les Balkans. Cette crise est minimisée, associée à une psychose ou hystérie par imitation, à l'Académie comme dans les médias roumains, parce que l'on se refuse à procéder à la réévaluation critique d'un discours forgé au XIXe siècle, avec les critères du XIXe siècle et presque exclusivement en Roumanie. Or il suffit de consulter les sources et les analyses historiques, linguistiques et anthropologiques autres que roumaines disponibles sur le sujet pour obtenir une tout autre présentation et interprétation des réalités aroumaines dans les Balkans. Pour la première fois en Roumanie, une intellectuelle roumaine d'origine aroumaine remettait en cause sans ménagement la légende nationale roumaine (18).

    à partir de cette date, les événements se sont accélérés. Le président de la communauté, Costica Canacheu, député du Parti démocratique au Parlement, a joué un rôle déterminant dans la « transformation » politique de la dynamique aroumaine des dernières années. La nouvelle orientation a été littéralement plébiscitée lors de l'Assemblée générale du 16 avril 2005, à Bucarest. 524 délégués ont voté en faveur du document, un seul s'est abstenu. Cependant, Dumitru Piceava par exemple, l'éditeur de la revue Bana armâneascâ, pourtant promoteur de longue date de cette initiative, n'a pas participé au vote en émettant des réserves sur le caractère démocratique de la consultation des associations à la veille de l'assemblée. « Notre stratégie pour la sauvegarde et l'essor de la langue et de la culture aroumaines repose sur l'affirmation de notre propre identité et sur la participation au concert multiculturel européen et universel », stipulait le document sollicitant l'enregistrement des Aroumains comme minorité nationale (19).

    Les protestations publiques se sont poursuivies de plus belle pendant que les positions défendues par la communauté n'étaient pratiquement pas relayées par les médias, sinon de manière caricaturale, à l'exception de l'agence de presse nationale. Le clivage entre les Aroumains et « leur » élite
n'a cessé de s'accentuer : protestation solennelle d'un autre député, d'un ex-ministre, sans oublier les déclarations réitérées d'autres personnalités de moindre envergure... (20) La confrontation entre partisans et adversaires dé-
    clarés du statut de minorité nationale a nettement tourné à l'avantage des premiers à l'occasion des deux manifestations parallèles organisées dans le cadre des XIIe8 Journées de la culture aroumaine à Constanta du 26 au 28 août 2005 (21). Cette rencontre a contribué à radicaliser les positions des seconds. Les auteurs d'une diatribe publiée dans un quotidien de Constanþa contre les « actions antinationales et anhistoriques (...) des représentants de la soi-disant communauté aroumaine », ces « roublards » motivés par « des intérêts explicitement pécuniaires », n'hésitent pas à s'insurger contre leurs prétentions de « remplacer dans les écoles la langue roumaine littéraire par leur "langue maternelle" ». Dans le même temps, tout en se félicitant du fait que les médias les ignorent, ils s'inquiètent de l'intérêt que pourrait leur accorder le « trop tolérant » état roumain (Lascu & Bardu, 2005).
    Parmi les points qui furent marqués, on peut signaler l'attribution, à la fin de l'année, d'une subvention à la publication de la revue de la communauté, Armànamea, par le Ministère de la culture, laquelle peut être interprétée comme une forme indirecte de reconnaissance alors que le discours portant sur l'absurdité des revendications de la communauté continue d'être prépondérant. à en juger par les premiers numéros de cette revue, publiée en aroumain et en roumain, elle est moins vivante que Bana armàneascà, qui continue de paraître. L'issue demeure cependant incertaine, la Constitution roumaine ne prévoyant pas de modalité légale pour inscrire les Aroumains aux côtés des vingt autres minorités nationales reconnues, dont plus de la moitié comptent moins de membres d'après les données du recensement. Toujours est-il que, fin 2007, les autorités roumaines refusaient toujours de prendre position.

    « Les chiens aboient, la caravane passe », pourrait-on être tenté de conclure. Mais pour aller où ? En effet, les perspectives ouvertes par l'éventuelle obtention du statut de minorité nationale sont encore plus incertaines que l'issue de la démarche en cours. Les deux scénarios qui se dégagent des prises de position et initiatives ont au moins un point en commun : la volonté d'en finir avec l'ambiguïté qui caractérise l'attitude sur le plan national des Aroumains. Or cette ambiguïté est trop ancrée pour qu'elle s'évanouisse du jour au lendemain. Par ailleurs, les deux scénarios sont parfaitement contradictoires, à première vue tout au moins.
    A regarder de plus près, ils s'alimentent réciproquement, ce qui explique pour une grande part la polarisation actuelle. Enfin, on peut déceler chez leurs partisans et adeptes des préoccupations qui ne sont pas toujours formulées ni avouées et dont la prise en compte permet de corriger quelque peu l'image qu'ils veulent donner d'eux-mêmes.

    Les Aroumains favorables au statut de minorité cherchent, certes, à se doter des moyens indispensables pour assurer au groupe sa survie - sur le plan de la langue notamment - mais encore à structurer un sentiment communautaire assez hésitant et travaillé par des tendances diverses. Plutôt que la simple reconnaissance de droit d'un état de fait, le statut de minorité constitue pour ceux d'entre eux qui se battent pour l'obtenir le point de départ d'une construction nouvelle, ce qui implique inévitablement le recours à des artifices et une bonne dose de volontarisme. Dans ce sens, la minorité nationale aroumaine en Roumanie n'existe pas encore : certains sont en train de l'inventer, de lui donner forme et de la proposer comme la solution nationale à des problèmes en tout genre, y compris mais pas seulement d'ordre identitaire, des problèmes qui pourraient aussi être posés et résolus autrement.

    Dans l'engagement des partisans de ces deux scénarios, il n'est pas aisé de départager ce qui relève de la conviction, de la passion, de l'intérêt à court et moyen terme, de l'attachement à une vision du monde ou de l'adhésion à un projet politique déterminé. Par certains côtés, le second scénario s'inscrit dans une stratégie qui n'est pas nouvelle et qui a déjà fait ses preuves chez les Aroumains. En pratiquant la surenchère dans l'acceptation du discours de la nation au sein de laquelle ils évoluent, ils cherchent à faire admettre et ainsi à faire perdurer leur particularisme, de toute manière condamné à leurs yeux, à lui assurer une place spéciale, de choix si possible.

    On peut se risquer à une comparaison avec la situation en Grèce. Dans ce pays, l'adhésion des Aroumains à la légende nationale grecque s'est inscrite dans la continuité, a été favorisée par la tradition (appartenance à l'église grecque, appropriation du grec, longtemps lingua franca du commerce), in culquée par les réseaux ecclésiastique et scolaire, tandis que les Aroumains, nettement moins nombreux et qui, à la fin du XIXe siècle, avaient épousé dans les Balkans la cause roumaine, opéraient une rupture, s'engageaient dans une aventure qui allait finir douloureusement. Si ceux qui sont venus
en Roumanie ont bénéficié d'un statut valorisé, notamment comme victimes d'un combat mal engagé puis perdu par la Roumanie, les Aroumains de Grèce ont dû attendre longtemps pour se manifester comme tels, au grand jour, en utilisant la marge de manœuvre résultant de la place qui leur était concédée en qualité de Grecs vlachophones dans la légende nationale grec que. Les Aroumains alias les Grecs vlachophones de Grèce qui se présentent et sont parfois acclamés comme « plus grecs que les Grecs » depuis fin des années 1980 ont pris, d'une certaine manière, le relais des Aroumains de Roumanie alias les Roumains du Sud qui ont eu longtemps droit à un traitement de faveur, tout au moins sur le plan symbolique, en Roumanie. C'est à cette « tradition » que s'accrochent les contempteurs de ceux qui se proclament minoritaires de nos jours, mais avec moins de succès que leurs aînés. Il est vrai que l'on s'émancipe plus facilement d'une « mère patrie » que l'on a en quelque sorte choisie et qui n'a pas répondu aux attentes.

    Ceci étant, les uns et les autres sont confrontés à un problème. On ne se réclame pas impunément, à ses propres yeux et aux yeux des autres, comme Grec en Grèce et comme Roumain en Roumanie alors que l'on partage les mêmes traits distinctifs. Et c'est justement au nom de l'appartenance à un ensemble supranational, balkanique, que les Aroumains de Roumanie demandent le statut de minorité en Roumanie. Dans leurs tentatives pour s'émanciper des nations dans lesquelles ils sont appelés à se fondre, les Aroumains, qui sont de petites minorités dans chacun des pays où ils évoluent et ne constituent nulle part la majorité, se réfèrent fréquemment à cet ensemble (22). L'utopie aroumaine consiste dans l'espoir de voir cet ensemble prendre forme, se structurer, fonctionner. En attendant, le monde aroumain (armànamea), pour reprendre le mot qu'ils utilisent pour désigner leur entité, est composé de groupes qui, la référence à un ensemble plus vaste mise à part, sont des minorités qui se définissent avant tout par rapport aux majorités environnantes. Qu'ils le veuillent ou non, les
Aroumains de nos jours sont aussi roumains en Roumanie, grecs en Grèce, albanais en Albanie... et, en cela, différents les uns des autres. Enfin, rap pelons, si besoin était, que tant leur affirmation comme minorité en Roumanie et ailleurs que l'établissement de liens durables entre eux à l'échelle des Balkans dépendent, en fin de compte, de l'évolution des rapports entre les majorités et les minorités dans la région. Dans l'état actuel, tel qu'il résulte de l'histoire nationale, post-ottomane, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, le chemin conduisant à la reconnaissance comme minorité d'un groupe qui ne bénéficie pas d'un soutien extérieur conséquent demeure semé d'embûches, tandis que les projections transnationales ne sauraient porter à conséquence dans une zone quadrillée par des frontières aussi étanches et intériorisées par la plupart des habitants, des frontières qui, de surcroît, se sont multipliées ces derniers temps. Le morcellement en cours des Balkans, l'émergence de micro-états, les revendications en tout genre, celle des Aroumains y compris, sont attribués d'ordinaire aux initiatives intempestives des nouveaux acteurs locaux, issus souvent de groupes minoritaires, minorés ou estimant l'être, plus ou moins instrumentalisés par les puissances étrangères. On oublie trop souvent que ce morcellement est aussi et surtout la conséquence de la crise ouverte provoquée par les tensions qui caractérisent les rapports entre les majorités et les minorités dans le cadre national. Seule une refonte intégrale de ce cadre permettrait de mettre fin à un tel processus et d'entamer une recomposition équitable.

    Références bibliographiques

    Cusa Nicolae (1996), Aromânii (Macedonenii) în România (Les Aroumains [Macédoniens] en Roumanie), Constanta : Editura Muntenia.

    Gica Alexandru (2000), « Un punctu di vidari » (Un point de vue), Bana Armâneascâ [La vie aroumaine], n° 21, p. 11.

    Hobsbawm Eric (2000), L'âge des extrêmes : le court XXe siècle (1914-1991), Bruxelles : Complexe.

    Kahl Thede (2002), «The Ethnicity of Aromanians after 1990: The Identity of a Minority that Behaves like a Majority », Ethnologia Balkanica,Vol. 6, pp. 145-169.

    Lascu Stoica & Bardu Nistor (2005), « Aromânii nu sunt minoritari în România » (Les Aroumains ne sont pas des minoritaires en Roumanie), Cuget liber, 28 décembre.

    Ornea Zigu (1995), « Contenciosul aromânilor » (Le contentieux des Aroumains), România literara, n° 5, p. 2.

    Papahagi Tache (1963), Dictionarul dialectului aromân : general si etimologic = Dictionnaire aroumain - macédo-roumain : general et étymologique, Bucuresti : Editura Academiei R. P. R.    

    Peyfuss Max Demeter (1974), Die aromunische Frage : ihre Entwicklung von den Ursprungen bis zum Frieden von Bukarest (1913) und die Haltung Osterreich-Ungarns, Köln : Wiener Archiv fiir Geschichte des Slawentums und Osteurospas.

    Tovaru Simion (1934), Problema scoalei românesti din Balcani (La question de l'école roumaine dans les Balkans), Bucuresti.


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