Teodor-Florin Zanoaga. Un roman inoubliable: Maria Chapdelaine
Data: Friday, March 14 @ 22:58:20 CET
Topic: Valori


De tous les romans de Louis Hémon, Maria Chapdelaine est, sans doute, le plus connu. L'écrivain présente aux Européens la vie et la civilisation québécoises à travers la vie de tous les jours de la famille Chapdelaine.
Teodor-Florin Zanoaga


Maria Chapdelaine s’inscrit dans le courant le plus important du roman québécois du début du XXe siècle, celui de la terre. Le roman du terroir, aussi appelé roman de mœurs paysannes ou roman régionaliste, décrit, comme le roman rustique en France, la réalité rurale de l’époque. Le cadre géographique de l’action est la campagne, conçue comme un lieu privilégié, idéalisé, qui assure la félicité à celui qui accepte d’y rester. Cet espace clos est presque toujours opposé, dans ce genre de roman, à un autre espace, ouvert celui-là, la ville, un lieu de perdition, de malheur, du vice qui conduit à l’échec celui qui y trouve son refuge.
Dans le cadre du genre romanesque du terroir s’inscrivent : le roman de colonisation, celui de la terre paternelle et le roman agriculturiste.
Le roman de colonisation a pour but la description de la conquête des espaces vastes du territoire québecois. Ici s’encadrent des écrivains comme Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (Charles Guérin. Roman de mœurs canadiennes), Antoine Gérin-Lajoie (Jean Rivard, le défricheur, Jean Rivard, l’économiste), Louis Hémon (Maria Chapdelaine), Félix-Antoine Savard (Menaud, maître draveur). Tous ces auteurs décrivent la vie des colons établis sur les territoires situés le long des deux rives du Saint-Laurent, la migration progressive vers les nouvelles terres et la conquête des nouveaux espaces, la difficulté des parents d’établir bien leurs fils et de marier leurs filles, le phénomène de la migration des gens qui ne pouvaient plus s’adapter à l’âpre vie rurale vers les Etats-Unis où ils n’avaient d’autre solution que grossir la main d’œuvre étrangère.
Dans le cadre du deuxième type du roman du terroir, à savoir celui de la terre paternelle, la terre est conçue comme un espace romanesque parfait, non problématique, qui assure le bonheur et le bien-être à celui qui l’habite. La ville, un espace aliénant, refuge des déshérités, est un lieu de toutes les misères alors que la campagne est, comme dans les romans de la colonisation, un espace où chacun peut rêver à un meilleur avenir. Le prototype de ce roman est Terre paternelle de Patrice Lacombe.
Le roman agriculturiste continue les mêmes thèmes développés dans les autres types romanesques, mais il pose, en premier lieu, le problème de la succession sur la terre paternelle. Le plus important de ce type de roman est Restons chez nous de Damase Potvin. D’autres romans écrits dans la même ligne sont : La Rivière-à-Mars, L’Appel à la terre, Trente Arpents de Ringuet et Le Survenant de Germaine Guèvremont.
Après l’époque du roman de la terre, au Québec, comme en Europe d’ailleurs, les thèmes et les motifs littéraires changent, suite aux conséquences des événements politiques et culturels. Avec la deuxième guerre mondiale, l’espace romanesque se déplace de la campagne à la ville de sorte qu’à l’idéalisme des romans du terroir succède le réalisme des romans des mœurs urbaines et le roman psychologique.
De toutes les productions littéraires du courant du terroir, Maria Chapdelaine de Louis Hémon a eu l’influence la plus importante sur le développement de la littérature québécoise. Jamais dans l’histoire littéraire du Canada français, un livre n’a semblé contenir autant de solutions à tous les problèmes. Plus qu’un simple témoignage, Maria Chapdelaine est devenu un véritable livre de recettes, notamment sur le plan littéraire. Les hommes de lettres l’ont considéré même comme la grammaire et le manuel de stylistique de l’écrivain québécois. Une pareille réputation permet à ce roman d’être un livre-étalon, le livre par rapport auquel on juge de la valeur des dernières parutions dans le monde littéraire. Ainsi, pendant longtemps, des oeuvres importantes comme Trente arpents de Ringuet ou Menaud, maître-draveur n’ont eu d’existence qu’à titre de reflet de l’ouvrage de Louis Hémon.
Le roman Maria Chapdelaine a le mérite d’avoir éliminé un vieux préjugé existant dans les cercles littéraires du pays au début du XXe siècle, à savoir celui qu’il n’y avait pas de matière littéraire au Québec. Suivant l’exemple de Hémon, les écrivains ont commencé de ramasser du matériau dans le folklore, d’exploiter la matière locale (la vie et les problèmes des gens, les beautés des paysages) et de renoncer peu à peu à l’imitation.
Le roman a été bien accueilli dans les milieux des intellectuels et dans les milieux ecclésiastiques. Véhicule des valeurs psychologiques et morales de la famille traditionnelle, Maria Chapdelaine a été interprétée comme un chef-d’œuvre catholique. En France, le clergé contribue à la diffusion du livre. Les interprétations multiples du roman sont, par conséquent, un indice de sa valeur incontestable. Chaque lecteur (professeur, médecin, homme de lettre, petit bourgeois, épouse fidèle etc.) trouvait dans le texte l’élément-clé pour interpréter l’œuvre de son propre point de vue. Ainsi, l’œuvre de Hémon réussit à remplir un espace vide dans la littérature nord-américaine et à donner une image d’ensemble du Québec qui était perçu encore en Europe au début du XXe siècle comme un pays exotique et peu connu.
Maria Chapdelaine a été publié pour la première fois en feuilleton dans le journal français “Le Temps”. Il a passé d’abord presque inaperçu. Personne ne devinait encore le rôle que le roman jouerait dans le développement de la littérature nationale au Québec. Pourtant, Louvigny de Montigny a eu la curiosité de lire le roman dans le journal parisien et le sujet lui a paru intéressant et susceptible d’intéresser le public québécois. Ses convictions le déterminent par la suite à vouloir publier ce roman au Canada. Par conséquent, il prend contact avec le père de l’auteur qui lui accorde tous les droits d’auteur, puis il fait des démarches pour publier le roman.
Dans le processus de l’édition de Maria Chapdelaine il y a au moins trois moments importants : l’édition de Lefebre, celle de Grasset et l’édition Fides.
L’édition de Lefebre, publiée à Montréal en 1916, copie “Le Temps” avec peu d’écarts, mais les particularités de cette édition sont pourtant d’un grand intérêt sociolinguistique, parce qu’elles reflètent l’idéal culturel de la société québécoise au début du XXe siècle.

Paradoxalement, l’édition canadienne est celle qui cherche le plus à se conformer au français normatif : atacas est corrigé par atoca, sa mère devient la mère, ouais est remplacé par oui, toué devient toi.
Dans la préface de cette édition, Louvigny de Montigny commence par adresser au lecteur français la prière de ne pas juger le Canada français d’après ce qu’il lira dans le roman Maria Chapdelaine parce que l’image du Québec que l’écrivain présente dans son ouvrage, n’est pas toujours la plus adéquate : “Le pays de Québec que Louis Hémon a observé n’est pas ni Canada, ni même la province de Québec…[…] Les Chapdelaine ne sont pas tous les Canadiens, ni tous les paysans canadiens”. A part cette critique, Montigny précise que le récit de Hémon est “un modèle de littérature canadienne”, une leçon adressée aux jeunes écrivains canadiens sur l’art de faire de la littérature .

L’édition Grasset imprimée en avril 1921, est, en quelque sorte, ce qu’on connaît de Maria Chapdelaine aujourd’hui. Elle copie sans trop d’écarts le texte du “Temps” et retient de celui de Lefebre les indications sur les toponymes.
Grasset impose son modèle à toutes les éditions suivantes qui ne recourent plus dès lors aux publications du “Temps” et de Lefebre. D’édition en édition, ce modèle sera reproduit avec plus ou moins de fidélité, traduit, diffusé partout dans le monde.
Bernard Grasset a fait de Maria Chapdelaine le livre le plus vendu de son temps (plus d’un million d’exemplaires vendus de 1921 à 1936). Vers 1938, le roman était traduit dans presque toutes les langues, même en chinois et en japonais. Maria Chapdelaine rivalisait déjà avec les œuvres les plus vendues au monde : Robinson Crusoe et Don Quichotte. Si la publication de ce roman en feuilleton dans le journal “Le Temps” est passée presque inaperçue, l’édition Grasset a été triomphale. Succès incontestable dans les librairies, ce livre a été reconnu aussi comme chef-d’œuvre par le jury des prix Fémina, Goncourt et Montyon . Raymond Poincaré, politicien français qui a été durant sept années (1913 - 1920) le président de la République, Léon Daudet, directeur de l’Action française, Henri Massis, universitaire catholique, Charles Le Goffic, membre de l’Académie française et président de la Société des gens de lettres, tous contribueront à lancer le roman Maria Chapdelaine. De plus, la famille de Louis Hémon qui était assez influente et son oncle, Prosper Hémon, qui était écrivain, se sont donné la peine de lancer l’œuvre dans les milieux officiels du monde politique, culturel et de l’éducation.
Grasset a préparé l’introduction du livre de Hémon dans les écoles privées. Il a préparé aussi des éditions spéciales pour les premières communions, pour les prix de fin d’année scolaire et pour les fêtes d’hiver. Oeuvre généreuse, Maria Chapdelaine offrait la possibilité de se faire transformer en livre spécialement destiné aux enfants, aux jeunes filles aspirant au mariage, aux épouses fidèles, aux professeurs et aux membres du clergé .
L’édition Fides, publiée à Montréal en 1946, dans la collection du Nénuphar, remplace au Québec l’édition française de Grasset. Bénéficiant d’une préface signée par Félix-Antoine Savard, qui avait fait de Maria Chapdelaine le leitmotiv du roman, Menaud, maitre-draveur, et qui situe le livre de Hémon dans le cadre des plus grandes valeurs littéraires, elle copie l’édition Grasset en modifiant un peu la ponctuation. En plus, le titre du roman apparaît sans le sous-titre, récit du Canada français.
Les autres éditions Fides qui suivent, copient avec plus ou moins d’écarts l’édition de 1946 .
En conclusion, les éditions successives du roman démontrent le grand impact qu’il a eu dans le public canadien et européen de l’époque. Même aujourd’hui, quand les échos du mythe Maria Chapdelaine sont depuis longtemps éteints, on a la surprise de trouver à la Librairie du Québec de Paris une édition récente du roman dans la collection des classiques de la littérature québécoise.

Le roman se compose de 16 chapitres de longueur inégale, certains de 15 pages, d’autres de dix, le dernier de seulement une demi-page. Ils sont numérotés sans titre et leur ordre chronologique suit le changement des quatre saisons.
Deux types d’événements sont présents dans le roman : ceux de la vie quotidienne (les travaux agricoles liés aux saisons, la vie familiale et privée, les activités collectives au cours desquelles le lecteur découvre les personnages extérieurs à la famille Chapdelaine “les visites” ou “les veillées”) et l’histoire d’amour de Maria et de François Paradis. Les deux catégories d’événements s’entrecroisent dans le tissu du roman.
Dans les chapitres qui décrivent la vie de la famille Chapdelaine et de la société, la vision réaliste est dominante. L’action “intérieure” n’avance pas. Dans les autres chapitres, des choses arrivent à Maria (rencontres, signes ou événements qui semblent n’avoir une signification que pour elle) qui transfigurent la réalité dans un rêve d’amour.
Si l’on considère que la vie intérieure de Maria constitue le noyau du roman, on peut diviser le roman en trois parties : le rêve de bonheur, détruit au chapitre X par la mort de François et la mort symbolique de Maria, le rêve d’évasion vers les espaces citadins qui est le contrepoint du premier rêve et qui est brisé par la mort de Laura (dans le chapitre XIV) et, finalement, le retour à la réalité, qui représente la dernière mort du rêve de bonheur et le refuge dans une vie à côté de la famille, refuge qu’on peut interpréter soit comme une répétition du passé (c’est l’interprétation traditionnelle, “optimiste”), soit comme une résignation devant l’impossibilité de transgresser la condition sociale .
Voilà une brève présentation de l’action du roman :
I. Samuel Chapdelaine revient chercher sa fille, Maria, qui a passé un mois de vacances à Saint-Prime. Dans la rue ils rencontrent, par hasard, François Paradis, un jeune coureur de bois.
II. Revenue dans son village au nord du lac Saint-Jean, Maria raconte ses péripéties et répond aux questions de sa mère. Les discussions sont un prétexte pour l’auteur de présenter la modeste habitation des Chapdelaine.
III. Au cours d’une soirée du mois de mai, François Paradis arrive chez les Chapdelaine. Le lecteur connaît l’histoire de sa vie : il a préféré vendre la terre de son père défunt et faire le commerce des fourrures avec les Amérindiens plutôt que de rester au village. François raconte la vie de son père et son attention est attirée par Maria, une fille d’une beauté particulière.
IV. En juin, les travaux de la terre sont en plein déroulement. Le père Chapdelaine travaille à côté de ses deux fils aînés, revenus des chantiers.
V. Le 22 juillet, on célèbre la fête de la Sainte-Anne. C’est une fête qui précède la moisson et la cueillette des baies, en particulier, des bleuets. La fête est une occasion pour les habitants de se réunir en grand nombre car le temps est chaud et les routes sont belles. Le lendemain, lors d’une cueillette de bleuets, François faitpart de ses sentiments à Maria et lui demande de l’attendre jusqu’au printemps et de penser à lui et à la possibilité d’un mariage.
VI. En août c’est la saison des foins, période quand les pluies sont indésirables car elles nuisent aux travaux agricoles. Maria rêve à François Paradis et imagine maints scénarios de leur histoire d’amour. Le premier amour éveille des sensations nouvelles pour elle.
VII. Septembre est le mois où a lieu la récolte des céréales. L’absence des pluies bénéfique en été pour les foins, ne l’est plus pour la récolte du blé. En plus, la gelée précoce menace la moisson déjà bien mince.
VIII. En octobre et en novembre, l’hiver provoque des accumulations de neige.. Les Chapdelaine préparent leur demeure pour l’hiver et ramassent les provisions nécessaires. Les garçons partent travailler sur le chantier, au nord. Maria ne songe pendant tout ce temps qu’à une seule personne : François Paradis.
IX. En décembre, les tempêtes font le neige se ramasser. Celle-ci bloque les chemins qui deviennent impraticables. Lors de la nuit de Noël, Maria récite mille Avé en secret pour que Dieu facilite le retour de François Paradis. X. La solitude du jour de l’An est interrompue par l’arrivée d’Eutrope. Le Nouvel An commence mal car il apporte une nouvelle tragique : François Paradis, désireux de voir les Chapdelaine pour les fêtes de Noël, a quitté le chantier durant la tempête et “s’est écarté”. Cela voulait dire qu’il s’est égaré puisqu’il était mort gelé dans la forêt, couvert par la neige. Ses traces sont découvertes par les Indiens dans la profondeur du bois.
XI. Maria continue sa vie habituelle, mais sans l’enthousiasme et la naïveté qu’elle avait jusque là. Son père l’emmène dans le village voir le curé. Elle se rend compte que sa seule consolation est la religion : tout ce qu’elle peut faire pour obéir à la volonté divine est d’oublier François, mais le devoir de chrétien lui impose aussi de prier pour son âme. Puis elle doit fonder une famille à côté d’un villageois.
La jeune fille rentre chez elle blessée et craintive, méfiante à l’égard de l’avenir qui l’attend, mais elle essaie de s’adapter à la nouvelle situation.
XII. En mars, lors d’une veillée chez Ephrem Surprenant, les Chapdelaine se rendent à Honfleur. Lorenzo, un jeune immigrant qui habite aux Etats-Unis, se lance dans une critique sévère de la vie d’habitant dans un village. Le lendemain, il vient demander Maria en mariage. La jeune fille est tentée de suivre Lorenzo pour échapper à son malheur et pour recommencer une nouvelle vie.
XIII. Eutrope Gagnon vient à son tour demander Maria en mariage ; il avait deviné la sympathie que la jeune fille éprouvait pour François, mais il pense avoir une chance contre Lorenzo car il est un “habitant”, comme les Chapdelaine, donc, leur possible gendre préféré.
Maria n’est pas prête à faire un choix. Eutrope fait presque partie de la famille, tant sa façon de vivre ressemble à celle qu’elle connaît. Par contre, elle pense que Lorenzo pourrait lui ouvrir des perspectives nouvelles qui lui permettraient de quitter un espace qu’elle commençait de haïr.
XIV. Soudainement, Laura, la mère Chapdelaine, tombe malade. Son agonie et sa mort semblent très proches et inévitables. Ni les médicaments, ni le médecin, ni les prières de Maria et du curé ne réussissent à arrêter le destin malheureux de Laura : elle meurt dans une grande douleur.
XV. Samuel trouve un soulagement à son chagrin dans l’apologie qu’il fait à sa femme qui, malgré quelques moments où elle s’était sentie désemparée, a cru qu’ il n’y a pas de plus belle vie que celle d’un habitant qui a une bonne terre et sait la cultiver. Maria écoute son père avec émotion, mais elle ne peut plus trouver le sens de la vie derrière les mots de son père. Des voix lui conseillent et la persuadent de choisir Eutrope comme mari.
XVI. Maria accepte d’épouser Eutrope.
Teodor-Florin Zanoaga





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