Matei Cazacu, Borsi Kalman Bela. Au berceau de la nation roumaine moderne
Data: Sunday, December 16 @ 17:52:06 CET
Topic: Geopolitica


Dans une brochure publiée en 1932 sous le titre Contre l'inimitié entre les nations. Roumains et Hongrois, Nicolae Iorga écrivait : "Depuis presque cent ans, une haine injustifiée sévit entre deux peuples qui vivent en partie sur les mêmes territoires, qui ont dans de nombreux domaines le même mode de vie, dont l'histoire a été maintes fois commune, qui ont à remplir, sur les lieux où ils se trouvent, la même mission et qui voient se dresser devant eux les mêmes dangers. Il s'agit des Roumains et des Hongrois.[...] Béla Borsi Kalman a entendu l'appel de Nicolae Iorga et son livre est un exercice d'analyse objective mais non dénuée de sympathie des relations entre les élites révolutionnaires hongroises de 1848 et les hommes politiques roumains. Ceux-ci étaient eux d'aussi anciens révolutionnaires, eux aussi avaient été condamnés au bannissement et aux persécutions, mais ils avaient réussi, lors de l'exil parisien, à susciter l'intérêt et la sympathie des historiens, des politiciens et des journalistes français pour ce qui deviendra, avec le concours de Napoléon III, un problème international : les principautés danubiennes, îlot latin dans une mer slave, poste avancé de l'Europe et gardien des bouches du Danube face à l'expansion des barbares et plus récemment de la Russie. Image naïve et fausse, mais soutenue par l'autorité d'hommes comme Lamartine, Jules Michelet et Edgar Quinet . L'auteur croit déceler dans cette prouesse le pragmatisme et le byzantinisme des boyards roumains qui comptaient parmi leurs ancêtres bon nombre de Grecs (et de balkaniques) ayant apporté dans leur bagage génétique toute la subtilité et la finesse de l'Empire romain d'Orient.

Éditions des Archives Contemporaines - Éditions des Archives Contemporaines
298 pages - 13,5 × 21 cm
ISBN 978-2-8130-0275-4 - septembre 2018


Introduction

L'auteur de ce petit livre - un recueil de dix articles et conférences - s'inscrit dans cette catégorie d'historiens diplomates et/ou hommes politiques qui ont joué un rôle fondamental dans le passé de l'Europe centrale et orientale au siècle dernier. Ses deux patries - la Roumanie et la Hongrie - et plus précisément la Transylvanie, ont marqué non seulement sa formation professionnelle, mais aussi sa sensibilité aux problèmes d'imagologie, de l'image des uns au regard des autres, Hongrois et Roumains. Cette sensibilité, nourrie par des lectures dans les deux langues et par un vécu partagé entre les deux pays, est visible dans chacun de ses textes, elle surgit à chaque page et lui permet de naviguer avec aisance dans un domaine miné par des vieilles rancoeurs et saturé de clichés et de stéréotypes négatifs.
Dans une brochure publiée en 1932 sous le titre Contre l'inimitié entre les nations. Roumains et Hongrois, Nicolae Iorga écrivait : "Depuis presque cent ans, une haine injustifiée sévit entre deux peuples qui vivent en partie sur les mêmes territoires, qui ont dans de nombreux domaines le même mode de vie, dont l'histoire a été maintes fois commune, qui ont à remplir, sur les lieux où ils se trouvent, la même mission et qui voient se dresser devant eux les mêmes dangers. Il s'agit des Roumains et des Hongrois. Toute cette oeuvre de discorde est basée, avant tout, sur certains intérêts, plus puissants de la part de certains qui relèvent de la nation hongroise sans être, très souvent, du même sang qu'elle ; mais les incitations à la haine pour des raisons de sang entre deux peuples sont la chose la plus insensée et la moins permise au monde. (...) La haine est cultivée seulement dans les strates supérieurs, nourrie par les journaux et les livres, cultivée dans les écoles. En bas, les hommes qui font le même travail peuvent s'entendre entre eux. Le paysan roumain et le paysan magyar habitant sur la même terre, lorsqu'ils sont laissés à leur compte, sans instigations, cultivent la bonne entente d'autrefois. Les métiers, le commerce exigent des liens dont on ne peut pas se priver uniquement parce que l'un parle une langue et l'autre, une autre. Depuis un certain temps, parmi les intellectuels se développe aussi un intérêt de plus en plus fort pour la culture des autres et la même âme se retrouve souvent, au-delà de la différence des langues. Et, au fond, pour toutes ces nations qui vivent en Roumanie, et surtout pour ces deux grandes nations, Roumains et Hongrois, se dessine une fois de plus le péril asiatique incarné dans le bolchevisme qui ne fait que donner une nouvelle forme à ce qui a été autrefois la menace des Coumans, des Pétchénègues et des Turcs ottomans. Se réveiller de l'ivresse des acharnements d'hier est, pour ces deux nations qui, dans l'intérêt du monde entier, ne doivent pas se détruire mutuellement, non seulement un devoir d'humanité, mais aussi un d'autoconservation."

Evidemment, ces sages paroles n'ont pas été entendues par les décideurs politiques, et les deux pays ont connu bon nombre de drames et de conflits notamment entre 1940 et 1945. L'occupation soviétique et l'instauration des régimes communistes à Bucarest et à Budapest n'ont fait que geler dissensions et récriminations qui tournaient, tout comme au XIXe siècle, autour de la Transylvanie, cette belle province qui a longtemps constitué la véritable pomme de discorde entre les deux pays. Béla Borsi Kalman s'est penché sur les prodromes et les premières décennies de ce problème qui était à l'origine un sous-produit de la révolution de 1848 et des voies divergentes empruntées par les deux peuples dans la construction des Etats nationaux : la Roumanie, créée en 1859 par l'union des principautés de Valachie et de Moldavie était placée sous la protection des 7 Puissances européennes, alors que la Hongrie se voyait élevée au rang de partenaire privilégié dans le cadre du Dualisme austro-hongrois qui a donné naissance à la fameuse Kakanie (1867). Dans l'affrontement entre le droit historique de la Hongrie et le droit des peuples de disposer librement de leur sort qui favorisait les Roumains, population majoritaire en Transylvanie, c'est le principe wilsonien qui a triomphé lors de la signature du Traité de Trianon (1920).

Le traumatisme ressenti à cette occasion par la Hongrie, qui perdait les deux tiers de son territoire et de sa population en faveur de ses voisins slaves et roumains, a alimenté un irrédentisme utilisé par Hitler et Mussolini pour attirer la Hongrie dans la guerre à l'Est qui l'a menée à la catastrophe de 1945. Restait tout un discours imagologique reprenant les clichés et les stéréotypes des siècles précédents et où les Roumains tenaient une place proéminente. Béla Borsi Kalman a entendu l'appel de Nicolae Iorga et son livre est un exercice d'analyse objective mais non dénuée de sympathie des relations entre les élites révolutionnaires hongroises de 1848 et les hommes politiques roumains. Ceux-ci étaient eux d'aussi anciens révolutionnaires, eux aussi avaient été condamnés au bannissement et aux persécutions, mais ils avaient réussi, lors de l'exil parisien, à susciter l'intérêt et la sympathie des historiens, des politiciens et des journalistes français pour ce qui deviendra, avec le concours de Napoléon III, un problème international : les principautés danubiennes, îlot latin dans une mer slave, poste avancé de l'Europe et gardien des bouches du Danube face à l'expansion des barbares et plus récemment de la Russie. Image naïve et fausse, mais soutenue par l'autorité d'hommes comme Lamartine, Jules Michelet et Edgar Quinet . L'auteur croit déceler dans cette prouesse le pragmatisme et le byzantinisme des boyards roumains qui comptaient parmi leurs ancêtres bon nombre de Grecs (et de balkaniques) ayant apporté dans leur bagage génétique toute la subtilité et la finesse de l'Empire romain d'Orient. La chose est incontestable, mais les résultats heureux de cette politique relèvent plutôt d'un concours de circonstances qui ont entraîné la France et l'Angleterre dans la guerre de Crimée dont l'unique bénéficiaire ont été les Roumains.

Les exilés hongrois et polonais ont vu dans la création de l'Etat roumain dirigé par des hommes qui partageaient leurs idées l'occasion rêvée de renverser la domination autrichienne et russe sur leur patrie et dans les années 1860 ils ont multiplié les initiatives de rapprochement avec le prince Cuza (1859-1866) et ensuite avec Charles de Hohenzollern-Sigmaringen (1866-1914). Des contacts ont été réalisés, des expéditions militaires ont été planifiées, des projets de confédération danubienne ont été avancés, mais le pragmatisme et la prudence des Roumains, qui connaissaient bien et ce depuis un siècle et demi les occupations russes, turques et autrichiennes de leur patrie, ont fait échouer ces plans et projets. Pour les exilés hongrois qu'étudie Béla Borsi Kalman, une confédération danubienne avec la Roumanie et la Serbie représentait une alternative valable à la domination autrichienne, mais la formule du Dualisme qui recréait le royaume de Saint Etienne avec François-Joseph à sa tête permettait l'organisation de l'Etat national et a fini par être acceptée et adoptée avec enthousiasme par l'élite nobiliaire hongroise. De la sorte, la Transylvanie fut réunie à la Hongrie dont elle avait été séparée depuis plus de trois siècles et devint la pomme de discorde avec la Roumanie qui lorgnait sur la province et s'inquiétait du sort de la population roumaine soumise, aux yeux des hommes politiques de Bucarest fortement influencés par le puissant lobby des intellectuels roumains de Transylvanie réfugiés au-delà des Carpathes, à un régime d'assimilation et de dénationalisation. Cette réalité est invoquée par l'auteur pour expliquer l'échec d'une entente entre les élites des deux pays en dépit des sentiments de respect et d'appréciation mutuels qu'elles manifestaient lors des contacts directs ou dans des écrits dont certains, inédits ou peu connus, sont ici mis en valeur pour la première fois.
Même si Béla Borsi Kalman semble avoir une vision trop idyllique de l'aristocratie hongroise ouverte aux idées généreuses de réformes et de progrès, en contraste avec ses homologues roumains, véritables héritiers d'une Byzance trop souvent perçue avec les yeux de Voltaire et de Gibbon, il reconstitue avec érudition un tableau coloré et vivant d'un monde aujourd'hui disparu à la recherche d'un avenir meilleur.

Matei Cazacu






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